Pv Devin ~ To tell ourselves a good lie

Lentement, tu sombres. 

Tu vois la surface s’éloigner. 

Malgré tes battements de jambes et de bras, tu es incapable de rejoindre la surface et la bouffe d’air si pure qui te délivrerait.
Impuissant, tu coules dans ce flot turbulent de pensée maladive. 

Leurs voix te tirant inlassablement plus bas et faisant émerger toujours plus de pensée obscure.
Tu te bat contre une force que tu sais divine.

L’envie de crier se fait forte, elle pulse dans tes poumons, fait résonner tes cordes vocales pourtant quand tu ouvres la bouche pour le laisser sortir, il meurt sur ta langue et il ne te reste que cette envie. Tu les vois tous, vivre heureusement, leurs problèmes te semblant si dérisoire comparé au boulet que tu te traines. Tu les envies de vivre sans ces voix qui te tourmente, celles qui chaque jour te rappelle que tu n’es qu’un raté, que jamais, tu n’arriveras à rien, que tu es le poison de leur existence, la merde qui a bousillé leur vie… En rien tu ne souhaites avoir leur vie, tu veux juste que ces voix se taisent et qu’enfin, tu puisses respirer.

Assis à l’accueil de la bibliothèque, tu regardes les gens entrer, un sourire de façade posé sur tes lèvres, un masque que tu ne portes qu’ici, derrière ce vieux comptoir de bois sombre. Un masque qui se fissure à chaque fois qu’un abonné te demande comment tu vas, qui se morcèle à chaque sourire que l’on te fait. Installé devant ton ordinateur, tu scannes les retours de livre et les déposes sur le charriot de rangement, mais tu sens monter dans ta cage une perle qui gonfle et se transforme en boule d’angoisse qui se loge dans ma gorge et tu ne te sens plus capable de rester sur place. Tu as besoin d’air, d’une pause, histoire d’évacuer le poids qui te ronge.
Tu places un panneau signalant ton absence pour quelques minutes sur la desserte et tu te diriges vers l’extérieur, là où rayonne la lumière. À chacun de tes pas les ombres sont attiré vers toi, comme de nombreuses ronces voulant te couper la route et te désireuses de te retenir dans les ténèbres de tes pensées. Refoulant un sanglot par une profonde inspiration, tu descends les quelques marches de la bâtisse et te glissent dans la rue comme l’ombre que tu es et tu t’assoies sur un banc, la tête entre tes mains et le dos courbé et tu permets enfin de laisser le lit de tes ruisseaux se remplir de larmes et inonder ton visage.
Finissant par essuyer les larmes sans aucune envie, tu te redresses pour sortir de la poche de ta veste un paquet de menthol et le zippo de ton géniteur pour embraser son bout et permettre à la nicotine de repasser les voix et l’anxiété loin dans ta conscience.

Il est rare de te voir fumer sur tes heures de travail, rare tout simplement que tu fumes, mais parfois fumer te permet d’oublier pendant quelques minutes les valises que tu te traines et enfin sentir un semblant de paix… .

Tout lui pèse.
La motivation pour aller bosser est à des années-lumière à présent. Il lui faudra quelques semaines pour digérer le tout. Pour s’habituer aussi -mais surtout pour dénicher un plan de ce qu’il doit faire pour son nouveau patron qui ne semble pas vouloir changer ses préférences pour autant-. Une impasse qui lui tiraille les tripes. Il est le seul à ne pas se réjouir de cette nouvelle. Tous ses collègues accueillent le tout d’un sourire radieux d’étamper sur leur visage.

Il arpente les rues, vagabonde afin de tuer le temps. Il sort son téléphone de temps à autre pour vérifier l’heure tout en ignorant les SMS de ce foutu Adam qui a réussi à débusquer son numéro. Il glisse les notifications en vue de les faire disparaître sans lire le début du message. La seule utilité que cet écran digital lui confère en ce moment est de ne pas arriver en retard à son boulot. Cela emmenait une perte conséquente sur les revenus.
Comme si le pouvoir lui était monté à la tête. Non, en fait Devin ne le connait pas véritablement. Ils partagent des heures afin que le gosse de riche -accessoirement son nouveau patron- oublie l’existence dans laquelle il baigne et s’y plonge à chaque nouvelle journée. C’était son rôle après tout. Divertir la clientèle pour leurs beaux yeux. Leur faire miroiter ce qu’ils n’ont pas à porter de main. Enflammer leur myocarde pour quelques heures en leur insufflant un désir charnel.
Puis, retour à la dure réalité. Press repeat.
Jusqu’à ce que quelque chose implose. Un compte à rebours qui ne semble jamais atteindre le décompte final. C’est ce qu’il apprécie, décidément, Devin. Cette petite dose d’adrénaline qui reprend un nouveau souffle. L’incertitude de cette vie. Il arrive toujours des couilles -et même si c’est une chose qu’il déteste gérer-, c’est ce qui lui permet de se sentir encore envie.
Contradiction qui accompagne le sens d’une certaine manière.

Il passe près d’un individu qui aurait pourtant passé pour une ombre si ce n’était pas de cette odeur familière de la nicotine. Un désir qui fourmille instantanément sous sa peau. Qui se développe en un besoin. Il fouille sa poche de sa veste pour y trouver que le vide. Il peste dans sa barbe.
Ses pas le mènent vers l’homme.

— Hey, t’aurais pas une cigarette de trop par hasard?

Ses pralines azurées scannent le brun de la tête au pied. Il y a quelque chose qui cloche, mais il ne saurait dire quoi exactement. En vrai, il espère juste que ce dernier ait la décence de remplir sa requête.
Il s’accoste sur le mur en brique. Patiente quelques secondes. Au pire des cas, il quêterait les passants, mine de rien plusieurs citoyens vont des va et viens dans les parages. La bibliothèque, c’est encore tant d’actualité dans cette époque du numérique? Après, Devin n’y a jamais mis les pieds depuis qu’il est dans ce pays des Cariboux. Cela lui arrivait quand il était gosse, mais dès lors plusieurs années, ce n’était plus l’endroit de référence pour lui. L’image de gens coincés se reflète dans son esprit dès qu’il ose structurer une scène dans ce bâtiment. Ou bien de personne trop snob pensant avoir toute la culture imprimée dans leur petite cervelle.

Le temps passe. 

Il soigne, mais tes blessures se nécrosent et le poison s’infiltre toujours plus dans ton être…
Le temps passe. 

Il efface, mais les voix sont toujours plus forte et écrase de leur retentissement chaque parcelle de lumière.

Piégé dans un maelström d’image, de sensation et de souvenir qui hante, tes jours et tes nuits sans distinction. Un jour tu le sais tu te retrouveras devant eux, un jour, il est inévitable que la Vie, cette garce, placerons les responsables de cette noirceur maladive, sur ta route. Et cette idée t’angoisse profondément et c’est pourquoi tu t’enfermes dans des endroits où les probabilités qu’ils y pénètrent soient quasiment nulles. Et quel meilleur choix qu’une bibliothèque… Un lieu où aucun dealer ne tenterait de vendre sa daube, où il n’y a pas d’alcool en vente, un lieu sans saveur et sans gout pour eux…

Pourtant, moi cette bibliothèque est mon havre de paix, celui qui me permet de ne pas être entièrement coupé du monde, un lieu où les histoires se rassemblent, là où l’imagination est reine. Un lieu qui regroupe tous les mondes qui te permettent de t’évader pendant quelques instants aux Voix…

Assis sur ton banc, tu inspires une bouffée de plus de ta clope, regardant la fraise rougeoyer et consommer un peu plus ce bâtonnet de poison. Un simple expiration qui rejette dans l’air ambiant un nuage nauséabond et acre.
Assis sur ton banc, ton esprit coupé du monde qui t’entoure, tu te concentres sur tes ressentis et sur l’importance de garder tes larmes au plus profond de ton cœur, loin de tes prunelles et du lit de leur rivière que tu tentes de garder asséchées…
Ta concentration est brisée par une voix suave.
-Pardon ?

Je lève les yeux vers le gars qui dos au soleil semble rayonner, sa chevelure d’or formant un halo de lumière autour de son visage et ses yeux d’un bleu pur glisse sur ton corps.
-Oui tiens. 



Tu tends ton paquet à l’homme, tes iris détaillant son corps qui pourrait très bien correspondre aux caractéristiques physique d’un personnage de romantasy que tu dévores…
-Ta du feu ou t'en veux ?

Ta voix sans expression identique à ce que ton visage exprime claque dans le calme de cette rue peu passante…

Il lui demande pardon. Franchement, Devin a presque l’impression qu’il dérange le fumeur perdu dans ses pensées. Ses yeux s’écarquillent devant l’inconnu qui le contemple. Le danseur nu lui adresse un sourire maladroit, mais agite surtout sa main pour s’assurer qu’il a bien capté l’attention. Il perdrait patience s’il devait répéter une troisième fois et il ira simplement agacer quelqu’un d’autre.

— Il te reste une cigarette ou pas?

En espérant que cette fois, l’information se rende bien à son cerveau.
Il soupire afin d’évacuer l’exaspération. En réalité, il désire juste avoir cette dose de nicotine qui le sabote, mais qui le libère à la fois. Faire le vide dans sa tête et simplement juste prendre le temps de s’étouffer avec ce poison. Comme une bonne partie de la population qui ne gère pas le stresse.
Il sourit, sincèrement, lorsque le brun lui tend son paquet. Il en saisit une dont il vient pincer entre ses lippes avant de rendre le contenant à son propriétaire.

— Je dirai pas non!

Au moins il n’avait pas à faire à un connard. Il pourrait presque lui donner un cinq étoiles pour le service, quoique à bien y repenser, un trois étoiles puisqu’il l’avait ignoré d’entrée de jeu. Néanmoins, il s’approche. Devin prend appuie sur le banc et se penche suffisamment pour que l’inconnu ne soit pas à se déplacer pour embraser le bout de sa clope.
Il ne traîne aucun briquet avec lui. Ça n’a aucune utilité au vu de ce qu’il peut faire en un claquement de doigts, cependant même s’ils se trouvaient dans la Zone Nord, user de ses pouvoirs engendrerait tout de même quelques questions s’il se situait devant un simple humain et la moindre pensée en ce sens l’exténue déjà.
Alors il patiente, observe davantage son compagnon de fumerie. Il cherche son regard, à voir s’il n’aurait pas une étincelle qui parsème les pupilles. À savoir s’il peut l’appâter, le danseur nu, à venir dépenser quelques billets colorés au Hunters Lounge. Il ne l’a jamais aperçu là-bas. Après, restait à savoir si ce dernier était ouvert à l’idée -et surtout à avoir Devin sous ses yeux-.

Dès que sa cigarette libère la nicotine, il se redresse et reprend une distance acceptable. Seulement, il pose son joli petit cul sur le banc à côté de malheureux qui a osé répondre à son caprice.

— Tu es toujours aussi expressif qu’une pierre tombale ou bien c’est une mauvaise journée?

Il lance la conversation. Tente de déceler un peu la personne derrière… l’inexpressif qui se dresse. Puis, ce n’était pas en lui envoyant dans la tronche une invitation à ce bar divertissant qu’il allait en tirer une réponse positive. Et soyons honnêtes. Devin possède beaucoup de temps libre devant lui. Et discuter était mieux que de dilapider le peu d’économies qu’il détenait.

En sortant de la bibliothèque, tu pensais pouvoir souffler, te couper du monde et pouvoir profiter, mais tu sais très bien qu’elles seront toujours là.
Incapable de les mettre en sourdine.
Incapable de les faire taire. 

Incapable… 



Mais veux-tu savoir pourquoi tu ne peux pas t’en débarrasser, par ce qu’au fond de toi, dans le plus profond de ton inconscience, tu crois ce qu’elles peuvent te dire. Leurs mots sont devenu une réalité que tu as du mal à ne pas voir et qui t’est impossible de fuir. 



Ces mots qui tournent en boucle dans ta tête sont devenue des maux et qui te coupe de ce monde petit à petit te faisant sombrer dans cette neurasthénie virulente et malsaine. 



Ton regard se lève vers l’homme qui se sert une clope et qui finit par se pencher pour que tu allumes sa fraise de ton briquet. Inspirant une nouvelle bouffée de la tienne, tu souffles le nuage empoisonné dans la bise qui caresse ton visage.
Du coin de l’œil, tu le vois te reluquer, tel un requin s’approchant de sa proie, mais tu ne lui prêtes aucune attention supplémentaire, son cul se pose sur le banc et sa voix s’immisce dans tes oreilles. Ton visage se tourne vers lui et ton expression n’a vraiment plus rien de neutre.
-Ah, j’avais peur que mon regard te fasse fondre.

Tu marques une pause avant de faire un sourire forcé et de reprendre :
-Je le garde donc sobre pour toi.

Ton sourire ne quitte pas tes lèvres et tu tires une nouvelle inspiration sur ta cigarette faisant tomber la cendre sur le trottoir.
Il t’est impossible de le nier, dans d’autre circonstance, dans une autre vie, tu n’aurais peut-être pas réagi avec autant de cynisme et tu serais surement passé à autre chose ou tu aurais rigolé comme une gourgandine en chaleur tant ce mâle est effroyablement séduisant. Mais il est tombé sur le mauvais gars, le mauvais jour…

Il intime une infime distance en s’approchant du bon samaritain qui lui offre un poison et qui l’embrase. Chose qui ne semble lui faire ni chaud ni froid. Bon, il s’est peut-être trompé, qui sait? Le jeune homme ne jouait pas dans cette cour. Il aura tenté.
Alors il pose son fessier sur le banc, aux côtés de cet inconnu et entame la discussion -sa franchise n’étant jamais bien loin-. Néanmoins, un rictus s’immisce sur ses traits. Il a du répondant, il ne peut lui enlever cet aspect!

— Je ne t’oblige pas à sourire. On dirait plutôt que tu tentes de faire compétition au Joker. Mais je ne remercie de l’effort.

Il porte la cigarette au bout de ses lèvres et inspire au point de consumer une importante partie dès le départ. Une dose assujettie afin de détendre ses muscles et surtout le cerveau telle une bonne bouffée d’air frais.
Le silence n’a jamais été son fort, à Devin. Il est un habitué du boucan et de la parole et le peu de passants qui arpentent la rue n’est guère suffisant pour ses oreilles.

— Mais on peut tester sinon. Ton sourire. Voir s’il me fait réellement fondre. Un sourire sincère surtout!

Oui, c’est un moyen de se foutre un peu de la gueule du monsieur pierre tombale à ses côtés, mais sa curiosité était piquée. Son ennui, ceci dit. Sans oublier que c’était une manière dire merci pour la clope qu’il lui a refilé. Il lui fait la conversation afin de passer le temps que leur poison se consume jusqu’au dernier cendre qui s’envole dans la brise fraiche de la soirée. Un échange de bon procédé tel que le danseur nu le qualifierait.

— Puis qui sait, tu pourras peut-être arriver à me faire rater un battement?

Son ton amusé reste sincère. Il abandonne un moment la cigarette coincée entre son index et son majeur, laissant la fumée secondaire vagabonder autour de sa personne à lui chatouiller les narines. Même s’il est hétérosexuel, ça reste un jeu toujours divertissant à s’y risquer. Deux scénarios possibles; soit il rentre dans son jeu et les deux se marrent, soit il se renfrogne et c’est le point mort sur tout.

Depuis bien des années où tu portes ce masque d'indifférence, où tu ne laisses rien transparaître quant à ta condition et aux parasites qui gangrènent ton esprit, tu dois bien admettre que ce mec pompeux a su avec brio éveiller en toi un intérêt particulier.
Jamais tu n’aurais prêté à des remarques comme les siennes.
Pourtant, là, sur ce banc, tu entres dans son jeu, tu danses son tango, lui répondant avec cynisme et faisant naître sur ton doux visage un faux sourire, une moquerie supplémentaire… Pourtant, tes yeux n’expriment plus rien, l’âme qui y brillait est morte, il ne reste plus que son ombre…
-Oh, mais le Joker est mon père… J’ai été à bonne école si tu as su le reconnaître en moi…


Tes prunelles roulent dans leur orbite et tu tires une nouvelle inspiration sur ta cigarette, tu gardes le gaz vicié dans tes poumons, tes poumons pulsent au rythme de ton cœur qui s’affole privé de son oxygène si précieux. Et en une longue expiration, tu expulses le fin brouillard qui se délie dans l’air ambiant.
-Je n’ai pas souri sincèrement pour qui que ce soit depuis des années… Et ne crois pas que ça va commencer aujourd’hui, pour ta belle gueule…


Tes iris glissent sur son corps et finissent par s’arrêter sur ses lèvres que tu fixes quelques secondes avant que tu mordes légèrement l'intérieur de ta joue, contractant ta mâchoire.
Nouvelle inspiration sur ta clope, légère caresse de ta langue sur ta lèvre alors que tu souffles la bouffée. Tu as lu suffisamment de livres pour avoir la théorie nécessaire pour la séduction, pourtant tu manques cruellement de pratique. En même temps, comment peux-tu espérer aimer quelqu’un quand tu ne t’aimes pas toi-même ? Et tu ne cherches pas de ça pour le moment…
-Tu souffrirais cruellement, car je ne pourrais t’offrir ce que tu recherches… Ce n'est pas toi, c'est moi…


Tu finis par te redresser légèrement et tu te penches vers lui.
-Je ne veux pas te faire souffrir…


Ton cœur s’emballe, et ton souffle s’accélère, il est vraiment très séduisant et ressemble à certains de ces héros de livres que tu dévores. Et maintenant, tu le sais, son visage sera celui que tu verras dans ton incommensurable imagination…
-Aurais-je l’audace de te demander un dernier baiser afin de clôturer cette histoire qui aura durée cinq minutes ?


Tu souffles sur ses lèvres ton expiration ardente avant de te redresser, de contourner le banc et de jeter le mégot dans le cendrier à l’entrée de la bibliothèque.
-Tu auras été ma plus belle histoire, mais si nous restons ensemble, nous allons souffrir et je ne pourrais supporter la souffrance que tes yeux exprimeront…


Tu lui fais un clin d'œil et tu déposes sur tes doigts un baiser que tu souffles dans sa direction avant de monter les marches avec une démarche chaloupée exagérée. Tu finis par rentrer et reprendre ta place au bureau de la bibliothèque soupirant lourdement, ton masque d’absence émotionnel se remettant en place…